L’expression vient de mon grand frère Patrick : chevaucher la bête, c’est profiter de l’énergie et de la puissance infinie de nos pulsions de vie et de mort… avec en plus la notion de contrôle, de direction.
Dans la notion de liberté, on inclut souvent, voire toujours, cet aspect de diriger, d’orienter, de décider. Mais on oublie presque toujours qu’il faut avoir quelque chose à orienter. Ce quelque chose, c’est justement ça : cette bête. Cet animal qui vit en nous tous, et qui veut vivre.
Toutes les grandes traditions, de la psychanalyse au shamanisme, en passant par diverses philosophies et d’innombrables cultes traitent de cette problématique là, et ce presque exclusivement. Toutes différemment bien sûr. Certaines prônent sa libération totale, d’autres sa répression absolue, d’autres un équilibre statique ou dynamique. Mais le fait est que c’est un thème récurrent et fondamental, dans toutes les cultures humaines. D’avoir à la fois cette faculté toute simple et toute animale de vivre, et une conscience dessus qui dirige… ou pas :)
Les premières fois de ma vie où j’ai été remis en contact avec cette bête ont été brutales, violentes. Agressé, mis en situation où ma survie était en jeu, je me souviens de scènes d’une intensité et d’une sérénité absolues, d’un détachement parfait et d’une puissance incroyable. Je voyais tout couler au ralenti. Une seconde durait mille ans. J’avais le temps, me semblait-il, de peser le pour et le contre, et même de m’étonner de ma propre lucidité, de ce détachement. Voyant ce tabouret arriver vers ma tête j’avais le temps de philosopher intérieurement sur les causes de toute cette violence, de positionner mon corps parfaitement pour être bien placé, de rediriger l’assaut, et d’éclater un os zygomatique… le tout en une fraction de seconde où j’avais tout mon temps… Ce jour là j’ai subitement pris conscience du fait que cette bête là, cet ange gardien, était en moi, et qu’il ne m’abandonnerait jamais. Je le croyais « autre ». Mais en fait c’était moi. C’est moi.
Certains l’appellent leur âme, leur « ça », leur petit démon intérieur, leur goua’ould :) D’autres lui donnent la forme d’un animal totem. D’autres l’intellectualisent et savent qu’elle est le fruit de l’évolution. Une chose est certaine, si on vous demande de l’argent pour vous aider à le retrouver, envoyez paître… il est juste là, assis devant cet écran. C’est vous.
Mais il est facile — ô combien facile !!! — de perdre le contact avec cet aspect de notre personne… plusieurs pièges nous y poussent, nous en éloignent, nous déconnectent. La peur de perdre le contrôle… La peur de sortir du cadre, d’être mal vu, d’être rejeté. La peur de s’extraire de la société, de cette masse rassurante d’où rien ne doit dépasser. La peur de trouver en soi, en cette reconnection, la certitude qu’en fait on n’est pas aussi heureux qu’on le pensait… Les inhibitions apprises. L’éducation castratrice. La bienpensance. La morale absurde.
On se ment tellement facilement à nous-mêmes en nous imaginant que nous sommes entiers !!!
Je chevauche mon ours. Il est doux et musclé tout à la fois. Tout en rondeurs musculeuses, je m’agrippe dans les plis de son cou, je sens son souffle infini. Je pense et il sait déjà où on va. Et on y est déjà. Et grâce à lui j’ai envie d’y aller. L’harmonie est atteinte. L’équilibre des forces est là. La conscience ne cède rien. La puissance s’exprime avec une pleine efficacité grâce à ce contrôle, et inversement. J’avais oublié à quel point cet ours était puissant. Il m’a attendu bien sagement, même si pendant tout ce temps j’étais occupé ailleurs…
J’en suis de plus en plus persuadé, il est de notre DEVOIR de nourrir, d’entretenir, de soigner la connexion intime qu’on a avec cet aspect là de nous-mêmes. Parce que s’il y a bien quelque chose de sacré dans un être humain, c’est ça.
(Pour ceux qui s’inquiètent subitement pour ma santé mentale, pas de panique, je suis conscient du fait qu’il s’agit d’une métaphore ;) … je vais très bien.)
Et rien de telle que s'en retourner à la nature pour retrouver cette force
Aujourd'hui,je l'entends… elle gronde entravée par les chaines que je lui ai jetées sur l'échine … comme mon père et le père de mon père avant moi.
elle gémit, elle râle, elle tremble alors que je la taquine, la harcele… elle est avec moi quand je marche en forêt, elle se cabre à chaque coup reçu lors de mes combats, elle hurle quand je prends sur moi frustrations et provocations…
elle a soif de liberté… et moi, j'ai seulement peur de chevaucher