Si on regarde un peu la préhistoire et même une bonne partie de l’histoire de notre espèce, on se rend compte qu’on a évolués, pour faire simple :
- dehors, exposés aux éléments, au soleil, au vent, au froid…
- dans la crainte permanente de prédateurs plus gros et plus forts (les gros chats, quoi) ;
- en mangeant essentiellement des plantes sauvages (sans produits chimiques, engrais, pesticides), des noix diverses, et du gibier…
- en bougeant toujours un peu, à faible intensité, avec de temps en temps des pointes d’activité pour fuir, combattre ou sortir de l’eau glacée dans laquelle on était tombés…
- en chassant et combattant en groupes…
C’est le « en groupe » que je souhaiterais souligner un peu ici.
Nous vivons des vies, actuellement, en occident, qui sont absolument à l’inverse par rapport à tout ça. Nos vies sont matériellement faciles, douces et confortables, pourtant nous ressentons une grande souffrance, un grand vide. Ce vide est, à mon humble avis, causé ou en tout cas fortement corrélé avec l’absence de défis concrets… et la solitude.
Nos corps et nos esprits ont été conçus, par le biais d’une évolution longue et sans pitié, pour la lutte, la guerre, la peur, et la cohésion. Nous sommes câblés pour nous protéger les uns les autres, pour se serrer les coudes, pour se mettre à 5 ou 6 sur le tigre à dents de sabre qui a choppé un gamin par une cuisse et qui veut l’emporter pour le manger. Nous sommes câblés pour protéger nos femmes, pour protéger nos petits, pour respecter les anciens qui savent, pour être fiers de ramener du gibier et de le partager.
Partager un repas, quand tout le monde a faim… amener une cuisse d’orignal à la Tribu, la poser près du feu et regarder les gens se la partager et se mettre d’un seul coup à sourire et à blaguer… parce qu’ils savent qu’ils vont vivre quelques jours de plus. C’est sans doute l’un des sentiments les plus puissants et les plus nobles qui soient. Et ça a clairement un sens, dans la survie de notre espèce, d’être fier de pouvoir faire ça, et de valoriser ceux qui le font… tout comme je pense que le fait que tous les homo sapiens que je connais sont plongés dans un état second de calme dès qu’un feu est allumé, et que tout le monde aime rester autour, je pense que la fierté qu’on ressent à donner, la joie qu’on ressent à aider un autre homo sapiens qui en a besoin est, en soi, une adaptation évolutive propre à notre espèce.
Nous sommes, je le pense vraiment, une espèce qui a la coopération et l’entraide encodée en dur dans le génôme. Et nos cultures, très diverses et très variées, sont toutes plus ou moins des dérivés de cette réalité toute bête qui veut qu’on s’en sorte mieux en groupe, avec un système cohérent pour vivre en groupe.
Et ce mal être que nous ressentons pratiquement tous, de nos jours, dans nos sociétés hyper-confortables, vient aussi, à mon avis, de la privation de contact humain réel. C’est comme si nous étions tous bannis. Comme si nous nous bannissions tous les uns les autres… et de retrouver une meute, de retrouver une tribu est un truc qui devient tellement précieux de nos jours que ça ouvre la porte à plein d’abus (des sectes au communautarisme primaire, aux mouvements identitaires divers)…
En stage, nous avons très très souvent un commentaire qui revient : « c’était génial de rencontrer des gens comme moi »… ou « je pensais être le seul au monde à me poser ces questions, et je suis content d’avoir vu que je n’étais pas un cas isolé, pas complètement cinglé »… En fait, pendant un weekend ou une semaine, on se retrouve à vivre dehors, près d’un feu, en petit groupe de primates bienveillants. On veille tous les uns sur les autres. On fonctionne en meute. On partage le peu de nourriture qu’on a. Et on reprend contact non seulement avec le chasseur-cueilleur qui est en nous… mais aussi avec les archétypes les plus importants, les plus centraux de son organisation sociale.
Dans l’infanterie, on retrouve aussi beaucoup cela. Quand, à 3h du matin, sous la pluie, on peut dormir dans le noir et sans bruit parce que notre binôme garde les yeux ouverts, forcément ça crée des liens, ça reconnecte à ce côté tribal… Et quand on combat à plusieurs, quand on réussit à survivre ensemble, forcément, ça crée des liens d’une profondeur et d’une intensité qu’on ne peut pas comprendre autrement.
La vérité, c’est que depuis la nuit des temps, nous avons été sélectionnés exactement pour faire ça.
Je pense humblement, à force de le vérifier un peu partout, à force de côtoyer des humains dans ce contexte là… à force de voir l’effet, aussi que ça a sur moi… je constate de plus en plus que pour être heureux et équilibrés, nous avons besoin de problèmes concrets (du froid, de la faim) sur lesquels nous pouvons agir, d’ennemis (que nous pouvons combattre ou éviter), de combats… et d’une Tribu.