Dans mes cours et stages divers, j’enseigne avant tout des principes. Quand les gens me posent des questions, je réponds toujours par « ça dépend »… et ensuite j’énonce le principe. Et les gens trouvent leur réponse tous seuls. Leur cerveau d’homo sapiens se sent respecté. Ils sont libérés du carcan des solutions toutes faites.
Les principes, ce sont des outils. Des outils pour construire des solutions techniques à des problèmes concrets. Un des principes que j’enseigne en priorité, pendant mes cours, stages, et partout, est le principe de sobriété, ou de simplicité. Il est relativement abstrait, mais restez avec moi 5 minutes, vous allez voir, ça vaut le coup.
Le rasoir d’Occam
La plupart des scientifiques, et quelques philosophes, connaissent la règle dite du rasoir d’Occam. C’est un principe de logique qui dit, en gros, que plus on multiplie les éléments logiques inutiles dans une réflexion, plus on risque de se planter… et donc qu’inversement plus on élimine tout ce qui est inutile, plus on a de chances d’être dans le vrai.
Ce principe de simplicité, de parcimonie, de sobriété, peu importe comment on l’appelle, est valable pour plein de choses. Dans un système mécanique, par exemple un moteur, plus on a d’éléments en interaction, plus on a de pièces mobiles, et plus le risque de panne augmente. Plus un moteur est simple, plus il est robuste. Or, pour concevoir un moteur simple, il est essentiel de le concevoir bien. Pour limiter le nombre de pièces dans une machine, tout comme pour limiter le nombre de lignes dans un programme, il faut avoir une vue d’ensemble précise du cahier des charges, du fonctionnement global de la chose, et pouvoir organiser le système de manière à optimiser chacun de ses morceaux fonctionnels.
Ce principe est valable pour plein de choses :
- les systèmes de pensée : pour organiser une réflexion, si on ajoute des éléments inutiles, on embrouille tout et on s’éloigne de notre objectif, qui est de comprendre… on risque davantage de faire des erreurs. On rajoute du bruit, en fait, dans une réflexion.
- les systèmes mécaniques : plus un système mécanique a de pièces, plus il y a d’interactions entre elles, et plus ça risque de tomber en panne. Un couteau pliant risque plus de se briser qu’une lame fixe. Pourquoi ? Parce qu’il a un point de pivot, 5 ou 6 pièces au minimum, et que chacune d’entre elles peut lâcher. Une lame fixe, généralement, est un bout de métal sur lequel on fixe un manche. Deux ou trois pièces, rien de mobile, pas d’interactions… c’est plus robuste, plus facile à construire, et plus difficile à casser.
- les outils pédadogiques : plus on complexifie un cours, plus on ajoute des fantaisies, plus on tente de briller et de se mettre en avant en tant que prof, plus on rajoute du bordel inutile à nos cours, qui occupe l’esprit des élèves, et leur laisse moins de place pour les choses qu’ils sont venu chercher.
- les phrases : on reconnaît un bon journaliste ou un bon écrivain à sa capacité à faire des phrases courtes. Qu’est-ce qui vous parle le plus ? « Avec la marée, la mer écumante, noire et houleuse, remontait violemment le long de la roche et éclaboussait copieusement la berge » ou « la mer se fracassait sur les rochers » ?
- les méthodes : que ça soit une méthode pour combattre, donner des ordres, survivre, soigner, penser, construire, distribuer… plus on fait simple, plus on élimine les étapes et les éléments superflus (quitte à réorganiser), plus on devient efficace, et moins ça a de risque de merder…
- les sacs à dos : je vois en stage des gens qui arrivent avec des sacs à dos pleins de merdes inutiles… ils passent des heures à chercher dedans, à tout sortir, à tout remettre, à tout ranger. Plus on a d’objets, plus ils nous entravent. Peu d’objets sont réellement indispensables. Il faut les choisir avec ce principe de sobriété.
- nos vies : combien de gens bossent comme des cons pour se payer plein de gadgets inutiles, une plus grande piscine, une plus grosse voiture, une paire de plus gros nichons, des bijoux, et des merdes… et se sentent enfermés dans leur boulot, ayant l’impression d’étouffer, et que leur vie n’a pas de sens ? Dans ma salle de bains, j’ai un savon de Marseille, un rasoir droit et un blaireau. Mes possessions matérielles toutes entières tiennent dans le coffre de ma voiture. Le reste appartient au CEETS, à mon ex, à mes enfants. Je bosse comme un con aussi, hein. Mais parce que j’aime ce que je fais ;)
Antoine de St-Exupery l’a dit il y a longtemps. « La perfection est atteinte non pas quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retirer ».
Culturellement, les occidentaux (et malheureusement, les milliards de gens dans le monde qui veulent désormais nous ressembler) associent « simplicité » avec des mots comme bêtise et pauvreté. Sobriété avec une sorte de rigueur sèche et âpre, une absence de plaisir… pourtant toute l’énergie qu’on économise, toute la fluidité et la liberté qu’on gagne en adoptant ce principe à tous les niveaux de notre vie sont une source de plaisir et de bonheur surprenants. Le plus dur est souvent juste de passer le cap. D’accepter de lâcher toutes ces choses inutiles, pour pouvoir vérifier qu’elles ne servent pas à grand chose d’autre qu’à nous ralentir. Un peu comme des boulets.
La vie est simple, jusqu’à ce qu’on se la complique… Le truc, c’est que c’est vraiment dur, c’est un boulot permanent de simplifier, d’alléger, de rendre plus sobre tout ce boxon… Personnellement, j’oscille en permanence. Un peu comme pour le ménage. Je mets un coup de propre, puis la saleté et le désordre augmentent jusqu’à atteindre mon seuil de tolérance, et je remets un coup de propre. Et ça recommence. C’est cyclique… et c’est la même chose pour tout. La complexité inutile augmente jusqu’à atteindre un seuil qui me dérange, et je simplifie. Et ça recommence.
Bref :)
Ciao ;)
David