J’ai compris un truc, cette semaine. En fait, c’est tout simple : il n’y a pas de place, dans ce monde, pour les mecs comme moi. Il faudrait qu’on m’enferme derrière une vitre, à briser en cas d’urgence.
Explications….
Les gens sont enfermés dans des prisons mentales. Ils vivent leur vie, font leurs choix, décident de subir en serrant les dents, sur la base de critères complètement abstraits comme « ça se fait » ou « ça ne se fait pas », sur la base de ce qui est socialement acceptable, reconnu, toléré… sur la base de modèles mentaux de ce que devrait être le réel, son fonctionnement, ses normes, ses limites. Tout ça est extrêmement utile : ça sert de point de référence commun, partagé, pour fonctionner en société. Et globalement, toutes les cultures du monde ont un jeu limité de représentations du réel qui sert à ça. Ca va de « la terre est ronde » à « les humains normaux peuvent faire ça et ça », à « une fille bien ne fait pas mal aux gens » à « quand on rentre chez soi on utilise le portail, quand on cambriole on fait le mur ». Or, tout ça est en bonne partie le fait de conventions, de limites imposées non pas par la brutalité des faits ou une quelconque limite physique. Tout ça, ce sont des représentations du réel qui reposent sur une seule contrainte réelle : donner des repères communs aux groupes d’humains pour qu’ils puissent vivre ensemble.
La terre n’est pas ronde. Eh non. Si vous vous déplacez vers l’ouest, un moment donné vous allez revenir par l’est, ça oui. Mais la forme est plutôt ovoïde, en réalité, et dessus il y a du relief. On appelle ça une sphère, grosso merdo, pour créer une image mentale dans votre esprit et que vous pigiez comment Christophe Colomb a pu se retrouver en Amérique et penser être en Inde.
Bref.
Ce matin, ayant oublié mon sac à la maison, je fais demi-tour, je me gare devant le portail à l’arrache, et comme il est chiant à ouvrir (cet enculé de portail), je franchis le mur. Hop. Je saute. Le bassin au-dessus du mur, je bascule, je suis de l’autre côté. Je cours vers la maison. Je choppe mon sac. Je reviens en courant. Je refais la même pour sortir… et là, je vois la tronche de la voisine. Elle avait buggé. Littéralement. Ecran bleu. Plus de réponse. Bouche ouverte et tout.
– mais c’est chez vous ?!
– bah oui…
– mais… pourquoi vous entrez et sortez comme un voleur ?
– pour le plaisir de voir vos yeux briller comme ça, madame… (en fait elle avait le regard aussi brillant qu’une morue sur l’étal du poissonnier)…
Concrètement, les gens sont pratiquement tous sur des rails mentaux. Leurs modèles mentaux sont étroits, rigides, difficiles à changer, même de l’intérieur. Moi le premier, bien entendu. Mais j’y travaille, justement… D’être conscient de la présence, de l’existence de ces modèles mentaux et de la manière dont ils déterminent notre perception des choses est une réelle libération. On comprend subitement que nos perceptions, nos malheurs, nos bonheurs, nos réactions, nos jugements, et les jugements d’autrui sont pratiquement tous basés justement sur ces constructions très abstraites.
Et on respire.
Le problème, c’est que le système se défend. Nos cultures possèdent des mécanismes de régulation qui servent à reprogrammer, de force si nécessaire, les individus qui n’obéissent pas aux lois implicites de nos sociétés. Ces mécanismes s’appellent la moquerie, l’exclusion, l’injustice, la xénophobie… L’Etranger est Etranger uniquement parce qu’il porte en lui des modèles mentaux différents. Cette différence de culture est perçu comme une menace par le système en place, dans certains cas. Et tout système, c’est bien connu, porte en lui une certaine résistance au changement, et des mécanismes de régulation qui le maintiennent dans sa forme, pour éviter la dispersion, l’entropie… On a des solutions qui fonctionnent. Les changer, c’est prendre un risque, après tout.
Et les systèmes ont, aussi, des fonctions qui leurs servent à évoluer, à tester de nouvelles méthodes. Et ces deux tendances s’affrontent, les groupes se divisent, se réconcilient quand ils voient que, finalement, les avant-gardistes n’avaient pas tort, ou qu’au final la tradition avait du bon…
Pour ma voisine, quand on rentre chez soi, on passe par le portail. Les cambrioleurs passent par le mur. Quand on est chez soi et qu’on rentre par le mur, ça ne colle pas. Et là le modèle mental, mis à mal, sature le système nerveux. Et ça bug. Et ses systèmes de défense se mettent en branle. Elle pose une question sur un ton jugeant, hautain. Sa voix, son regard, son paraverbal disaient « je suis étonnée ». Ma réponse et mon absence de justification l’ont confortée dans l’idée que je suis « une personne assez atypique », j’imagine. Et quand elle va papoter devant le thé avec l’autre voisine, dimanche prochain, elle va sûrement parler de ça. Et l’autre voisine va lui dire qu’elle m’a vu courir torse nu dans le jardin (pour l’entraînement je fais des sprints autour de la maison, parfois, et je cogne avec une masse sur un pneu, etc, etc.)… et les résistances du système vont se mettre en place. Ca me fait sourire, de derrière ma vitre. Et oui, s’il y a le feu ou une agression ou un glissement de terrain, je briserai la glace et j’irai les aider. Parce que je sers à ça… Je ne suis pas, et volontairement, soumis au modèle mental ordinaire, aux contraintes mentales que s’imposent les gens par commodité et conformisme, parce que je veux rester libre d’agir efficacement, et de fait sans contraintes mentales inutiles et infondées, dans les moments d’urgence.
In case of emergency, break glass… J’y suis bien, derrière ma glace. Je me cure le nez, je pète et je jongle avec mes kettlebells en attendant qu’on ait besoin de mes services. Et je diffuse mes savoir-faire à qui en veut. Sans prétention d’avoir raison… chacun prend ce qu’il veut, et jette le reste. C’est ça qui est bien quand on sort des rails et qu’on se balade à pieds. On fait ce qu’on veut, et tant qu’on n’est pas pile sur les rails au moment où le train passe, on ne craint rien ;)
Ciao ;)
David
P.S.: oui, ce texte est constructiviste, à la base. Merci à Olivier Lafay pour le rappel, et à mes profs d’anthropologie pour le pétage de burnes ;)