Un bon pote, dont je vais taire le nom, jouait un jour son rôle au sein de grandes manoeuvres internationales de l’OTAN. Le cul posé dans un local situé très très haut dans la hiérarchie de ce magnifique bordel que peuvent être des manoeuvres internationales, il admirait la mécanique bien rodée, avec un petit sourire satisfait. Il commençait même à se détendre en se disant que tout fonctionnait comme sur des roulettes, pas peu fier du boulot accompli, et de la performance de son pays dans l’histoire.
Et là, les infos ont commencé à pleuvoir, injectées dans le scénario. Plein d’infos. Des petites, des grosses, des grandes, des utiles, des pas utiles. Et des capitales.
Et pour chacune de ces infos, outre la nécessité de prendre une décision (ce qui était toujours facile/possible en soi), il fallait toujours du temps pour traiter, du temps pour communiquer, et du temps pour gérer les erreurs de transmissions, les incompréhensions, vérifier la bonne application, etc.
Et là d’un coup le stress est monté. Et monté encore. D’un coup mon pote a vu des infos du genre « Les 47 000 réfugiés qui étaient massés à la frontière Hongroise paniquent et commencent à entrer en force, les douaniers tirent dans le foule » être négligées pendant une demie journée. Non pas par incompétence ou négligence. Simplement parce qu’il y avait des infos encore plus urgentes à traiter avant.
Cette anecdote illustre vraiment très très bien les limites des organisations hiérarchiques où une « tête » intelligente décide de tout. Sur le terrain, sans légitimité d’agir sans ordre venant d’en haut, on peut être paralysé tout simplement parce que la tête est saturée. On peut aussi recevoir des ordres parfaitement inadaptés au détail d’une situation non pas à cause de l’incompétence de la tête, mais bien de son incapacité matérielle à recevoir et à traiter toutes les infos à temps.
Cette centralisation hiérarchique du pouvoir et de la prise de décision est parfois vitale, souvent utile, mais parfois mortelle. Et ce principe de goulot d’étranglement qui est commun à toutes les organisations où le pouvoir est centralisé est réellement un effet pervers du besoin de contrôle qui est de mise dans toute structure de ce type.
La guerre, comme la survie, se gagne par la liberté d’action des éléments sur le terrain autant que par la pertinence de leur action. C’est ce qui fait, en grande partie, la force des organisations terroristes ou criminelles un peu partout dans le monde. C’est ce qui fait aussi, en grande partie, que les Forces Spéciales ont des taux de réussite aussi élevés : leur aptitude à prendre des décision les rend à même d’élaborer des solutions adaptées aux détails du terrain, chose qu’un commandement centralisé ne peut forcément pas faire car ne disposant jamais de toutes les informations.
Plus on laissera descendre, dans les structures hiérarchiques, le pouvoir de décision non seulement tactique mais même, dans une certaine mesure, stratégique, plus on aura des équipes capables de répondre de manière pertinente à des ennemis disposant d’une liberté d’action immensément plus grande.
La logistique lourde, dans ces conditions, devient souvent autant un handicap qu’une force. Et cette réalité est très largement ressentie et partagée par les gens de terrain. Comme si un sens stratégique commun les réunissait sans même qu’ils n’aient à se concerter : un pote d’un pote, issu des forces spéciales Russes, disait ainsi qu’il refusait de porter un sac de plus de 11kg. Il disait « au-dessus de 11kg, je suis un soldat ordinaire ». Il préférait de loin avoir moins d’eau et moins de nourriture, et même moins de munitions, et pas de kevlar… mais être mobile, rapide, et arriver le premier, bouger vite…
Tant qu’on restera enlisé dans ces modèles lourds et centralisés, tant au niveau tactique que stratégique, une poignée d’hommes décidés, avec des sandales à scratch, une kalash et deux chargeurs pourront vraiment mettre en difficulté (en synergie avec les freins politiques créés par la pression de l’opinion publique qui n’accepte pas les pertes au combat) les énormes machines de guerre occidentales.