De plus en plus, des stagiaires me demandent ce qu’est la différence entre la vie sauvage, le bushcraft et la survie… J’ai longtemps trouvé cette distinction purement artificielle…
J’avais tort.
De fait, ayant grandi pieds nus dans la forêt au Québec, j’ai abordé la survie par ce qu’on pourrait appeler le bushcraft, ou la vie sauvage. Quand on me demande où j’ai appris telle ou telle technique, je réponds en général « et toi, t’as appris où à passer le balai ? »… Je suis tombé dedans quand j’étais petit, et j’ai appris de manière complètement informelle, en imitant mes oncles et mes cousins, en écoutant les histoires de chasse, les légendes de pêche, les récits des des uns et des autres… et en pratiquant beaucoup, parce que c’était facile, agréable. Parce que j’aimais ça et que quand j’étais fatigué ou de mauvaise humeur j’allais voir la « Pacha Mama » pour me reposer… J’ai toujours profondément aimé la nature, et ce sentiment d’union profonde entre mon être tout entier et la forêt, la montagne, le sable, la terre, l’eau pure d’une rivière ou le feu qui me chauffe… Difficile à expliquer, mais je ne sens pas particulièrement de distinction entre moi et la nature. Comme si les frontières de mon être étaient poreuses… et c’est bon, comme sensation :)
Puis, depuis 2003, l’efficacité et la méthode ont mis leur nez dans mes affaires intimes avec la Mama :) J’ai structuré, objectivé, condensé… j’ai mis au point des trucs pour enseigner. J’ai appris, notamment via Philippe Perotti et Alain Baeriswyl, des méthodes pédagogiques et une approche extrêmement efficace pour faire passer les savoirs vite et bien. Et de fait, de toute cette nébuleuse « sauvage » a émergé un cursus très précis, très riche, et très efficace. Et c’est très bien que ça existe aussi. C’est utile. C’est bon. Ca prolonge des vies.
Mais tout ceci étant fait, je retourne maintenant pister avec un immense plaisir. Je pars marcher tranquillement dans les sous-bois… je longe des torrents et des ruisseaux, et ça me fait un bien immense de me replonger dans tout ça, tout simplement…
Alors, quelle est donc cette fameuse différence entre la vie sauvage et la survie ? La finalité, le but est le même… d’apprendre à survivre et du même coup à vivre dans la nature ou ailleurs. La différence est dans le temps qu’on souhaite consacrer à l’apprentissage de tout ça. Le bushcraft, la vie sauvage, sont un apprentissage qui se fait en douceur, qui est long et riche, plein de redondance et de répétition où on fait, refait et recommence en soignant le geste, en prenant plaisir à bien faire. C’est une recherche du geste pur, de la conscience de ce qu’on fait. C’est un art autant qu’une science… et on apprend, on « s’entraîne » quotidiennement en se reposant, en se faisant plaisir, presque sans s’en rendre compte… et au final, sur la durée, on acquiert lentement mais sûrement un savoir-faire très profond, très enraciné, très robuste et qui sera utilisable aussi en situation d’urgence.
En survie, a contrario, on emploiera des méthodes un peu plus simples. Pas nécessairement les meilleures dans l’absolu, mais celles qui seront les plus faciles à transmettre efficacement et rapidement, et qui fonctionneront tout le temps… la survie s’apprend vite et bien. La vie sauvage se savoure. C’est une façon de faire qui s’infuse doucement en nous… très profondément.
Est-ce que les deux approches sont complémentaires ? Absolument pas. Elles sont juste différentes. Et c’est très bien ainsi… Les deux me font réellement penser à la distinction qui existe entre les arts internes chinois et les méthodes de self-défense. Les arts internes chinois demandent, pour le peu que j’en connais, des années avant d’être maîtrisés, et deviennent efficaces sur la durée, lentement, par imprégnation progressive, par un « travail long » (« travail long », c’est la traduction de « Gung Fu » !), alors que les méthodes de self sont conçues pour être transmissibles vite et bien au plus grand nombre, et pour être efficaces vite. Les uns sont élitistes, réservés à ceux qui ont envie de s’investir longtemps, doucement et paisiblement, sans espoir ni besoin que ça fonctionne rapidement. Les autres sont dans l’efficacité industrielle, et le pragmatisme rationnel.
Et c’est très bien que les deux existent.
Et oui, les deux sont conciliables. La preuve… ;)